L'oeil de l'ange

Publié le 13 Juin 2013

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Voici le début d'une nouvelle que j'ai reprise hier. Le texte, est écrit depuis un an, je l'ai laissé dormir....

Que le travail de relecture est exigeant quand on modifie de longs passages !

Je vous livre le travail d'hier (mais il se peut que je l'améliore encore)

 

 

 

L’œil de l’ange

 

 

La matinée avait été calme pour Estelle et ses amis peintres. Ils avaient élu résidence, le temps d’un week-end, dans le jardin du poète à Omonville la Petite.

Chacun avait trouvé sa place, celui-ci à l’ombre d’un prunus, celui-là sous un parasol, quelques uns s’étaient offerts le luxe d’un barnum où desserte et boissons fraîches avoisinaient chevalets et couteaux à peindre. Le soleil, qui s’était montré si timide durant  tout l’été, tentait une sortie, inespérée, en ce début de mois de septembre. Un accord parfait s’installait entre la  poésie des lieux  et les artistes, fin prêts à recevoir les visiteurs, même s’ils se laissaient désirer…

Avant la pause repas, seuls les organisateurs de cette manifestation étaient venus encourager les peintres du site. Ces bénévoles de la bibliothèque intercommunale proposaient aux amoureux de la nature et des arts une balade poétique entre Omonville et St Germain des Vaux. Ils avaient prévu tout un parcours jalonné de démonstrations de peinture in situ  et entrecoupé de moments de lecture des poèmes de Jacques Prévert. Pour l’occasion, la maison-Musée était fermée. Mus’Art Diz, l’évènement ainsi nommé,  se donnait pour mission  de rendre vivants les  mots du poète et de les fondre dans  l’univers coloré des artistes présents. Jacques, d’après ce qu’on dit, était sensible à la peinture – son amitié avec Picasso en témoignait

Bastien, le plus jeune des artistes, un blondinet aux allures de gavroche avait planté son chevalet non loin du portail. D’où il était, il pouvait observer des gallinacés qui déambulaient en liberté  sur la chaussée. Le coq   perché sur la pente d’un fossé était l’objet de toute son attention, il effaça plusieurs fois à l’aide d’un chiffon imprégné d’essence de térébenthine ses couleurs qu’il ne trouvait pas assez fidèles au  flamboiement du plumage. Marine, quant à elle, aimait les ambiances florales. Les massifs d’hibiscus, les hortensias, les plantations au pied des arbres où le jaune des soucis se mêlait au fuchsia des balsamines trouvaient dans ses pastels matière à rivaliser avec la nature. Estelle, on se demandait si elle peignait ou si elle rêvait, car son regard ne se détournait pas de la fenêtre du premier étage de la maison. Espérait-elle apercevoir Prévert lui adressant un petit signe d’amitié depuis la fenêtre de son salon-atelier ? Elle peignait pourtant, sans donner l’impression de regarder sa toile, elle savait d’instinct où trouver les couleurs qu’elle avait ordonnées sur sa palette !

 Un couple s’était fait remarquer en arrivant car ils n’admettaient pas que la maison, habituellement ouverte aux visites, leur soit interdite pour cause de manifestation artistique. « Vous comprenez, dirent–ils, espérant qu’on leur accorde un passe-droit, c’était le  clou de notre séjour en Normandie, nous nous réservions ce plaisir pour le dernier jour de nos vacances ! » Quand ils regardèrent la toile d’Estelle et y découvrirent l’ange qu’elle avait peint, leur indignation trouva une nouvelle raison de se manifester. Un ange — oui — qui du salon semblait regarder vers le parc, et le jardin prenait couleur à partir de ce regard ! « Un ange sexué planant au plafond de la maison de Prévert, s’exclamèrent-ils ! Est-ce de la provocation  à l’égard de la mémoire du poète qui, comme tout le monde le sait, était un  iconoclaste notoire ? Ce ne pouvait être que pure imagination ! »

 

« Ma perspective vous étonne à ce point ? répondit Estelle avec complaisance. J’ai voulu peindre le décor en faisant passer le point de vue par le regard de l’ange.

Quand vous visiterez la maison — car vous reviendrez n’est-ce pas ? — vous verrez cet ange en bois polychrome suspendu à  sa poutre, de là, il veille sur la paix studieuse du salon.

Sa présence peut paraître étrange, mais les chemins de la réceptivité passent par l’acceptation de la présence insolite d’un objet, quel qu’il soit et où qu’il soit.

L’ange dans cette maison détone, il rompt quelque chose, il dérange, quand on sait les prises de positions anticléricales du poète. Voyez-le comme un clin d’œil malicieux à la vie, aux idées des hommes… comme un paradoxe. Mettez cet ange dans une chapelle ou imaginez-le en figure de proue, il devient banal, mais là ; c’est de l’Art, du Grand Art !

Ce n’est pas le putto qui est important, mais sa symbolique. Si vous enlevez l’ange, il aura toujours sa place dans l’espace où il était auparavant, il ne la quittera plus. Vous lui avez accordé le droit d’être, il ne l’oubliera jamais, que ce soit dans la clarté du jour ou dans l’obscurité. Et sur ma toile ce sera pareil. Vous avez remarqué cet ange, mais je vais le recouvrir de peinture, il sera toujours là, on devinera juste sa présence. C’est lui qui m’a permis de construire le tableau, mais il s’effacera et son absence deviendra espace de liberté. Une absence, comme un silence dans un environnement bruyant, comme un vide dans la profusion des choses, un vide qui accrochera le regard, provoquera la question, je l’espère.

Bon, je vais cesser de débloquer à plein au sujet de cet être « ange » !

Avez-vous remarqué combien cette petite route de campagne, devant la maison,  est étonnante ? Voyez cet âne qui passe sans être accompagné ! » 

Ses interlocuteurs eurent à peine le temps de se retourner que l’âne s’était déjà envolé et qu’on entendit braire un coq.

 

C’est Pré Vert ici, et langue de poète ; rien ne doit surprendre…

Rédigé par Carmen Atonati

Publié dans #Nouvelles

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L
un grand plaisir de lire ton début de nouvelle Carmen<br /> un jour aussi je dépasserai surement ce cap là d'écrire que de la poésie<br /> en tout cas bravo j'ai aimé te lire<br /> bises
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C
<br /> <br /> C'est une autre forme d'écriture. Je te dirai que pour moi  la poésie vient toute seule alors que je dois rudement m'imposer l'écriture de nouvelles.<br /> <br /> <br /> Quand je suis enfin satisfaite de ma prose (et c'est là que se trouve la difficulté car je n'ai jamais fini d'améliorer mes écrits), je suis heureuse d'avoir fourni cet effort (devenu<br /> imperceptible dans la fluidité du texte).<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> Carmen<br /> <br /> <br /> <br />
C
Bonjour Carmen. Merci pour ce début très prometteur et si bien écrit. Grosses bises et douce fin de journée.
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C
<br /> <br /> Eh oui, il faut que je m'y remette (soupirs... )<br /> <br /> <br /> Merci d'être venue ici, cacao. Je suis passée chez toi mais je n'ai pas laissé de commentaire... je reviendrai, c'est prévu !<br /> <br /> <br /> <br />
L
Magnifique ! Une atmosphère à mi-chemin entre le fantastique et le réel d'une journée campagnarde. Le vide laissé par l'ange est très présent et j'adore l'âne qui s'envole et le coq qui braie.<br /> C'est savoureux, Carmen.
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C
<br /> <br /> Oui la poésie nous fait basculer du   réel vers le surréalisme (enfin, c'est ce que j'ai essayé de faire... et j'espère y parvenir jusqu'au bout) Je me replongerai dans cette nouvelle<br /> la semaine prochaine.<br /> <br /> <br /> Merci de m'avoir lue, Louv'.<br /> <br /> <br /> Carmen<br /> <br /> <br /> <br />