Vivre autrement

Publié le 23 Mai 2017

 

 

Vivre autrement

 

Auteur : Jean Sauré

Illustrations : Itziar Cordo et Jorge Calvo

Editorial Saure 2017

 

(par Carmen Pennarun)

 

 

La poésie de Jean Sauré interpelle notre monde, elle nous interroge sur le rôle que nous y jouons, nous invitant à sortir de la passivité, de notre confort apparent. Elle le fait avec beaucoup de tendresse car elle connaît la nature humaine, elle connaît la vie, celle d’avant, dont elle peut témoigner, et celle qui est devenue notre cadre et conditionne notre environnement, aujourd’hui.

Jean Sauré nous amène par sa plume vivante - qui aurait pu chanter la simplicité d’une vie bucolique, celle qu’il a connue dans son hameau natal, en Bretagne, et auprès de ceux qu’il a aimés - à porter un regard sur le monde qui s’offre à nous maintenant.

L’auteur confronté au malheur, à la guerre, à l’actualité d’un monde qui va toujours plus vite, au mépris de l’humanité qui lui est si chère, nous encourage à la résistance et pour cela la voix du républicain prend le chemin des alexandrins, s’accorde à leur rythme et aux rimes pour nous parler en frère. Il s’adresse à notre conscience citoyenne, nous invite à repenser notre implication pour un monde meilleur, un monde où les actes que nous poserons ne seront pas de simples pansements, mais réaffirmeront notre quête d’humanité. Ainsi, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry, qui se sentait responsable de sa rose, nous pourrons tous être co-responsables de notre planète, acteurs de Vie.

 

Notre civilisation est devenue une fourmilière, nous allons à contre sens. La pollution extérieure devient notre mal à dit. Il ne s’agit pas d’exprimer de la nostalgie en idéalisant un passé révolu, mais de s’interroger sur le monde actuel qui nous impose un rythme de vie contre nature, contre nous-mêmes !

L’automobile est devenue la deuxième maison de l’homme (sa première, « Cela se fait parfois en des vies malheureuses ».

Les hommes ont fui le hameau, préférant s’entasser dans la ville, ils en oublient la pleine nature « La simple, toute vraie, en ses belles parures »

« Ça bouchonne partout et on n’avance plus…

… Et moi, je n’en peux plus

Et moi, je n’en veux plus !... »

« À quand le temps des sages ? »

 

Violences routières. La route prend des vies, celle de Marine et aussi celle de Sophie, « Innocente victime d’une imbécile allure ». Les enfants sont les premiers à souffrir de cette folle allure que nous avons adoptée, de cette ambition effrénée qui nous motive. Enfant que l’on pousse à la vitesse, comme celui-là que son père entraîne dans cette nouvelle joute qu’est le moto-cross. Est-ce le choix de l’enfant ou le rêve du père ? Combien petites sont les vies face à la grande vitesse du train de l’existence ! Le qualificatif « petit » revient souvent dans cette partie du recueil, comme par une volonté de l’auteur, ancien instituteur, de ramener le monde à une échelle plus humaine, plus affective. Ralentissons et manifestons de la courtoisie !

« Il me plaît au volant de laisser l’avantage

Au quidam, au vieillard, à la mère, à l’enfant :

Un regard amical et pas si rarement

Me dit que j’ai raison de laisser le passage ! »

 

Écologie. Notre civilisation, dite de croissance, après avoir pollué notre eau, pollue notre air. Faudra-t-il bientôt payer l’air comme nous payons l’eau ?

« Que le temps a passé, depuis ma tendre enfance,

Un beau jour, tout surpris d’avoir l’eau à payer,

Un beau jour comme ça, à midi, attablé,

Notre puits infecté par quelque pestilence. »

On consomme, on gaspille, on exploite, on abuse. Ne serait-il pas possible de raisonner nos envies et de ne plus consommer que par besoin ?

« Nous allons droit au mur et notre seule chance

C’est de mieux consommer, respecter, partager. »

N’oublions pas ce que disait Antoine de Saint-Exupéry : « On n’hérite pas la terre de ses parents, on l’emprunte aux enfants ».

Le mépris de la nature et de ce fait l’ignorance des besoins de tous les hommes au bénéfice des intérêts d’une minorité n’est pas une fatalité. Il faut parvenir à ignorer la logique économique et privilégier l’écologie en toute chose, jusque dans nos relations à l’autre. Il est temps de réagir si nous voulons pouvoir répondre de façon rassurante à cette phrase de Didier Van Cauwelaert relevée dans Journal intime d’un arbre : « Dans la vraie vie, en dépit de la destruction sauvage ou officiellement maîtrisée des forêts, les arbres continuent à nous rendre heureux – mais pour combien de temps ? »

Il est temps de penser en terme d’équilibre et non plus de croissance. « Ceux qui prêchent la croissance de la consommation, dans les pays où les besoins vitaux sont plus que satisfaits, sont aussi néfastes que les dealers répandant leurs drogues. » dit Albert Jacquard dans Le compte à rebours a-t-il commencé.

 

Les Grands de ce monde ne sont pas ceux qui viennent s’imposer « Tout assoiffés d’honneurs et de toute puissance », ils ont la discrétion d’un Cincinnatus, qu’on appela, par trois fois, pour sauver la cité de Rome et qui s’en retourna ensuite labourer sa terre.

Jean Sauré admire l’intégrité de ces hommes qui ont pris la parole pour les plus faibles, qui ont lutté pour le respect de la dignité humaine. Sacrifiant leur vie pour plus de justice, ils étaient portés par leurs convictions. Ces hommes s’appelaient Jean Jaurès, Gandhi, Jean Moulin… d’autres ont su se montrer Grands par leur présence ou leur bravoure dans une existence ordinaire et le poète n’oublie pas ceux qui ont croisé sa route. Un poème rend un hommage particulier à Elisée Reclus que le poète considère comme son père spirituel. « Je t’ai choisi un jour pour ta pensée si fière », dit-il.

 

Voici la deuxième strophe du poème dédié à Jean Jaurès :

« Lui, défendait le faible ! Et c’était combat.

Lui, défendait l’Humain et réclamait justice,

Contre ces nantis-là, êtres sans foi ni loi,

Ne vivant que pour eux et tristes bénéfices. »

Laissons, maintenant, s’élever la voix de Jean Jaurés dans Histoire socialiste :

« Quel que soit le rapport de l’âme humaine, en ses rêves mêmes les plus audacieux ou les plus subtils, avec le système économique et social, elle va au-delà du milieu humain, dans l’immense milieu cosmique. Et le contact de l’Univers fait vibrer en elle des forces mystérieuses et profondes, forces de l’éternelle vie mouvante qui précéda les sociétés humaines, et les dépassera. »

Ces Grands nous élèvent, vraiment. Ils ne se taisent jamais quand la parole est nécessaire.

 

 

Injustice. Au nom de la patrie, pour défendre la Liberté combien de jeunes vies ont été fauchées ; la guerre comme la route est une calamité qui ne sert que quelques nantis n’ayant d’autres souci que toujours plus d’argent ! Et l’enfant questionne : « Dis-moi pourquoi, Papy, on te voit bien des fois / Avec tous ces drapeaux, allant au long des rues… »

Que dire aussi à l’enfant qui recherchait la chaleur du poêle pour se réchauffer, il venait à l’école quel que soit le temps mais tout ce que le maître pouvait lui souhaiter était « Occupe-toi de toi, classe n’a rien à voir / Et tourne-lui le dos ! Allez, tu te réchauffes ! »

Jean Sauré est révolté « Par ce monde et ces gens qui misères provoquent, / Tout ça au nom d’argent, de dette qu’ils évoquent… »

L’homme ne peut même pas compter sur la Justice qui depuis La Fontaine n’a rien gagné en lettres de noblesse. Les lois du monde répondent au mots d’ordre du profit et de l’argent… mais Jean Sauré ne croit pas à la Révolution qui répand toujours plus de mal que de bien, le seul vrai Bonheur ne passe que par l’Amour et l’Amitié en espérant « que chacun ait sa part d’un partage loyal »

 

Amours. « À quand le temps des Sages ? » demande le poète. Et si la réponse venait dans ce dernier volet du recueil qui s’ouvre sur la tendresse et le respect que l’homme a témoigné aux femmes de sa famille, aux filles de la Victoire (établissement catholique pour filles), à la femme de sa vie - la plus belle - celle de ses 26 ans, qui est toujours son Aimée à ses 80 ans ? L’Amour est un sentiment qui un jour nous chavire et qui, année après année, développe des racines dont nous ignorons l’envergure, et ces racines soutiennent en nous l’élan de vie et tout ce qu’il nous permet d’imaginer, de construire - notamment un monde qui évolue dans un sens favorable à la nature et à l’humanité.

« Je l’avais remarquée celle-ci, la plus belle,

Au milieu d’une allée, de filles, tant et tant,

Celle que j’Aimerais et je ne vis plus qu’elle

Tout le reste oubliant, tout le corps « chavirant » !... »

 

Vivre autrement est un recueil de poésie engagé, il part du constat que nous vivons   "Dans un monde d’enfer, un univers dément ". Sur cette planète vivent de plus en plus de gens et le monde court vers toujours plus de croissance. Nos sociétés fabriquent de l’exclusion, tandis que les plus nantis s’enrichissent tant et plus. Ainsi s’est installé le totalitarisme de l’Argent… Il serait temps de désacraliser l’argent et de considérer la Terre comme sacrée, puisqu’elle est notre demeure, notre « matrie » en quelque sorte. Nous sommes à l’aube d’une nécessaire et nouvelle conscience planétaire… La vie ne peut évoluer que si l’ensemble des humains redécouvre le mot « Fraternité », abandonnant tout ce qui fractionne, sépare et choisissant les actions qui lui permettront de sortir de la crise de l’environnement, du mépris pour la souffrance d’une grande partie de l’humanité. Ainsi les mots « Égalité » et « Liberté », dans le sillage de la « Fraternité », prendront tout leur sens.

 

Même s’il dénonce ce qui ne va pas, car il porte un regard lucide sur notre monde, ce livre est profondément optimiste : il invite à cultiver les valeurs essentielles de la vie, en gardant à coeur une confiance active en la nature humaine - si toutefois celle-ci parvient à sortir de son égocentrisme, de l’angoisse du profit associée au toujours plus vite… Ainsi résonne, sincère, le titre du dernier poème : « Merveilleux monde, divin coup de foudre, merveilleuse tendresse ! »

 

Avant de fermer ces impressions sur le livre de Jean Sauré, qui a su entretenir son attachement à l’humanité, aux valeurs simples de la vie, qui a su également trouver les mots pour partager avec clarté son rêve d’une fraternité à réinventer entre les hommes, entre la terre et les hommes, et nous toucher, je transcris une prière de la tribu Ogibway :

 

Grand-père,

Regarde où nous sommes tombés.

Nous savons que dans toute la création

Seule la famille humaine

S’est écartée du Chemin sacré.

Nous savons que nous sommes ceux

Qui sont divisés

Et nous sommes ceux qui doivent retourner en arrière

Pour retrouver le Chemin sacré.

Grand-père,

Éternel,

Enseigne-nous l’amour, la compassion et l’honneur

Afin que nous puissions guérir la Terre

Et nous guérir les uns les autres.

 

*

 

[ Le livre « Vivre autrement » est disponible exclusivement en format papier. Espace culturel Leclerc :

http://www.e-leclerc.com/espace+culturel/produit/vivre-autrement,28996309/

Chez d´autres libraires : leslibraires.fr, Mollat, Decitre, Amazon]

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Carmen Atonati

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M
Je ne connaissais pas cet auteur. Ton billet me fait découvrir les différents thèmes de son inspiration, je suis très concernée par notre belle planète et l'écologie, c'est bien d'écrire des poèmes sur ce sujet, c'est une belle façon de faire passer le message.<br /> Belle journée!
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C
Je le pense aussi, Maryline. La poésie doit faire entendre ses voix, dans tous les domaines.<br /> Belle journée à vous aussi !